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Camarade Aboubacar Dramé

Chronique du Talon de Fer, parue ce jour dans Liberté Hebdo
Samedi matin, 9H30. Prendre le Mongy jusqu’à la gare. Voir des familles partir en vacances, skis et grosses valises. Se diriger par les rues désertes du Vieux-Lille jusqu’au palais de justice. S'apercevoir que le temps hésite entre des pluies violentes et brèves et un soleil qui pourrait presque être chaud. Arriver devant le palais de Justice. Ne voir d’abord qu’un seul camarade, F.B. Se saluer. Se demander si on ne s’est pas trompé, si ce n’était pas plutôt au Tribunal administratif. Entrer quand même. Ne voir personne. Demander au camarade : « Tu le connais, toi, Aboubacar Drame ? ». Ecouter le camarade répondre que oui, qu’il milite à la cellule de Wazemmes, qu’il a été arrêté il y a quelques jours par la police de l’air et des frontières. Sans papier. 
Se faire la remarque que ce n’est pas tout à fait vrai. Que posséder une carte du Parti Communiste Français, c’est plutôt pas mal comme preuve d’identité. D’identité internationale. 
Se renseigner auprès d’une dame qui a l’air d’être une habituée des lieux et passer sa vie là à s’occuper bénévolement des sans-papiers : café, réconfort, coups de fil. 
Voir enfin d’autres camarades arriver, puis des copains et de la famille d’Aboubacar Drame. Rentrer dans la salle d’audience. Constater la simplicité du dispositif : une juge en civil, son greffier. En face d’eux, le représentant de la préfecture d’un côté, l’avocat de l’autre. Et puis trois policiers, deux hommes, une femme, chargés d’amener les prévenus de leur cellule dans le palais de justice à la salle d’audience. Se dire que tout le monde, la juge, le greffier, le représentant de la préfecture, l’avocate, donnent l’impression qu’ils seraient mieux ailleurs en ce début de week-end pascal. 
Apprendre qu’Aboubacar Drame ne passera qu’en fin de matinée. Assister, donc, à tous les autres cas. Sept. Se souvenir de ce Chinois vivant en Pologne et arrêté pour défaut de ceinture de sécurité alors qu’il faisait du tourisme avec sa femme et se retrouve depuis trois jours au centre de rétention de Lesquin. Kafka et Ubu pas morts. En pleine forme, même. Se dire que la préfecture veut vraiment faire du chiffre. Se souvenir aussi de cette Africaine anglophone qui se fait expliquer ce que disent la juge et l’avocate par une interprète au beau visage asiatique. Se faire la réflexion que c’est ça, la France aujourd’hui, et que ce n’est pas plus mal. Qu’il suffirait d’un peu de générosité pour éviter que tout ce monde là se rencontrent ailleurs que dans un tribunal. 
S’étonner de la relative rapidité et de la monotonie un peu triste de chaque passage. Exposé des faits par la juge, qui fait en général part du désir de la préfecture de prolonger de quinze jours le délai de rétention. Puis le représentant de la préfecture qui détaille. Puis l’avocate qui défend. Ligne toujours identique : pas d’interprète au moment de l’arrestation, défaut de procès-verbal. Voir la juge donner raison à la défense, à chaque fois, après une délibération de cinq minutes à l’abri des regards. Sentir que dans le camp de la préfecture, on est tellement pressés par les exigences du gouvernement que l’on finit par faire un peu n’importe quoi dans la précipitation. Tant mieux pour ce Géorgien, ce Brésilien, cet Algérien. Se rendre compte que certains ont même été arrêtés, comble de l’absurdité, alors qu’ils étaient justement entrain de quitter le territoire français. 
Tous être là, famille, amis et camarades quand passe enfin Aboubacar Dramé.
Voir l’argumentation du représentant de la préfecture exploser en plein vol puisque la garde à vue du camarade n’a pas été contresignée par un OPJ. Sentir le soulagement de tous. Ressortir au soleil. Se congratuler. Se rappeler qu’on a gagné sur la forme, pas sur le fond. Et donc que tout sera toujours à recommencer. 
Savourer, quand même, le répit.

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